Cela faisait trois jours à présent qu'Hellios n'était pas sortit de chez lui. Après une escapade sous la pluie pour le mener au planétarium, il s'était terré dans son appartement avec un peu plus d'inspiration qu'auparavant. Malheureusement, la source de son écriture se tarissait peu à peu et bientôt, il n'avait plus aucune idée en tête. Soupirant, il s'enfonçait dans son sofa en cuir, un air blasé collé au visage. Pourtant, dehors, le soleil rayonnait dans un ciel bleu, ses rayons se projetant à l'intérieur de l'habitat. Avec un tel temps n'importe qui devrait être heureux non ? Cependant, notre cher écrivain avait appris à se désolidariser du temps et de ses sautes d'humeur. Il était assez déboussolé par ce manque d'inspiration, il ne comprenait tout simplement pas ce qui lui arrivait. Et puis étant une personne orgueilleuse, il avait bien du mal à se dire que quelque chose n'allait pas, qu'il avait une véritable perte d'imagination. Non, évidemment, jamais rien de tel ne pourrait arriver au grand Hellios. Alors il piétinait dans son appartement, faisant les cent pas, allant se chercher à manger, se rasseyant puis se relevant pour chercher à boire. Un dur manège qui était loin d'être efficace et qui n'apportait rien de plus à la page blanche du jeune homme.
S'enfonçant d'autant plus dans le canapé défoncé, il grogna en regardant ses pieds au soleil. Il observa la fenêtre et décida que sortir lui ferait du bien. Reprenant le même schéma de quelques jours auparavant, il ajouta des tennis usées à sa tenue, attrapa ses clés, son porte-feuille et son portable et s'échappa de son appartement. Dans la rue, il avait l'habitude que les gens le regardent, pourtant ses tenues n'étaient pas particulièrement originales. Aujourd'hui il portait une large marinière en tissu rêche et un jean. Cependant, ses cheveux bleus et le tatouage au dessus de son sourcil gauche avaient tendance à attirer l'attention. Lui s'en fichait pas mal, il allumait sa clope et fumait tranquillement en se dirigeant vers le parc près duquel il habitait, à peine cinq minutes à pied. Il traînait légèrement des pieds, ressassant ses mésaventures passées, bloqué sur cette perte d'inspiration qui le rendait fou. En passant l'entrée du parc il espérait qu'un peu de verdure lui ferait du bien, et peut-être le reconnecterais avec sa muse intérieure. Cependant, ce n'était pas les arbres feuillus, ni même l'herbe fraîchement coupée qui allait l'occuper. Non, il s'agissait de quelque chose de plus .. humain.
Je continuais de marcher tranquillement dans l'allé, le sable crissant sous mes vieilles semelles. Clope aux lèvres je regardais tranquillement les passants, les joggeuses souriantes qui espéraient attirer l'attention, les enfants piailleurs qui jouaient ensembles, les p'tits vieux sur les bancs qui regardaient la vie passer. Tiens, encore une chose que je ne pourrais jamais faire. Être vieux. Être vieux à deux et regarder le reste du monde avec les yeux sages de la vieillesse. On passe notre vie à vouloir être jeune et pourtant, quand on l'est pour toujours, on regrette. Parce que si prendre de l'âge connait plein d'inconvénients, cela a aussi des avantages. On peut enfin être tranquille, ne plus se demander ce qu'il va arriver, attendre la mort comme une amie quand elle a, depuis toujours, été votre ennemie. Un sourire mélancolique glissait sur mes lippes alors que je dépassais ces vieux couples que j'enviais. Relevant le visage devant moi, je vis quelque chose, à l'horizon, un peu plus loin, prés du côté ombragé du parc. Il s'agissait d'un chevalet, sur lequel se trouvait de toute évidence, une toile. Un peintre en plein air ? Cela promettait d'être intéressant.
Plus je m'approchais plus je dénotais la tignasse rouquine du peintre. Fronçant les sourcils, je me demandais s'il ne s'agissait pas de ce peintre dont je ne connaissais pas le nom. Un peintre particulier, du monde des morts. Ses toiles laissaient un amer arrière goût, comme si toute un monde étrange et tordu en surgissait. De ce que j'avais entendu, il était très peu apprécié et avait bien du mal à vendre ses toiles, cela ne m'étonnait pas. Cependant, il m'intriguait, énormément. Pourquoi continuait-il de peindre s'il ne pouvait vivre de ses toiles ? La peinture était chère, tout comme le matériel, surtout pour un mort. Alors je me suis dit qu'il devait employer ses toiles comme un moyen de communication, d'expression. Ainsi, je n'étais que d'autant plus intrigué, je voulais savoir, comment faisait-il ? Comment le processus se déroulait-il ? Et quelques autres questions qui flottaient dans mon esprit alors que j'abordais le peintre. C'était bien lui et de ce que je voyais, il venait de commencer une toile. Je m'approchais alors, me plaçant juste derrière lui, je regardais son travail, en silence et sans bouger. Attentif.
Quand on prenait le temps de s’assoir et d’y penser, la vie à New Life, ce pseudo monde de mort-vivants, n’était pas si différente de la vie des vivant-vivants. Certes, les lieux étaient différents; plus poétiques, plus beaux et souvent, il y régnait cette fine fragrance surréaliste propre à l’imagination vagabonde de la caste artistique. Et même si tu étais certain d’être bien mort –parce que, merde, t’avais toi-même mit un frein à cette pathétique excuse pour une existence –, parfois, tu ne pouvais t’empêcher de penser que tu vivais un rêve interminable. Et New Life, c’était vie dans la mort. C’était le rêve dans le cauchemar. Et avant tout, c’était une prison dans la liberté. Parce que, il fallait quand même vivre et, apparemment, même dans le monde des morts, le loyer ne se payait pas tout seul.
Et ce fut avec un long et pénible soupir, qui en tout honnêteté s’annonçait à être le premier d’une longue et pénible journée, que tu te traînas péniblement jusqu’à la porte d’entrée de ce qui composait ton petit appartement. Chevalet et toile sous le bras, sac de sport contenant différents matériels d’art sur l’épaule libre, tu sorties en faisant un vacarme fou. Évidemment, ce n’était pas voulu, mais tu n’y pouvais rien si le cadre de porte avait été construit trop étroit. Et de toute façon, ce n’était pas comme si ton cher colocataire possédait un sommeil léger.
Gagner sa vie s’avérait être une peine mensuel.
Ancré dans une humeur exécrable, le regard des curieux meublant les petites rues te donnait envie de plier bagages et de peindre simplement à l’appart, mais l’air était frais et doux, rien de comparable à l’humidité et la chaleur qui suintait du petit logement. Puis, il y avait une autre raison; tu savais qu’enfermé à l’intérieur, tu n’aurais été bon qu’à peindre des choses déprimantes, noirs, macabres, tristes, et avant tout, pas vendeuses. À l’habitude, tu n’en aurais eu rien à foutre, mais si tu n’arrivais pas à payer ta partie de l’appartement, Sleeping Sheep, même dans son éternel paresse, ne s’aurait pas empêché de te ricaner au nez sur ton inutilité. Et la dernière chose que tu avais besoin, c’était bien de ne pas te faire mettre dehors.
Donc dehors, entouré de végétation, c’était l’endroit idéal pour une nature morte. Et ce fut pour cette raison que tu t’installas dans le petit parc. À l’ombre, c’était parfais. Chevalet prêt, c’est à ce moment que tu remarquas que tu avais oublié un banc pour t’assoir. Terriblement ennuyé, tu renonças à refaire tout le chemin. Soupirant, tu t’accroupis pour déposer ton sac, puis l’ouvris. Tu en ressortis une vieille palette usée par le temps et l’usure, ainsi qu’un tube de peinture à l’huile de couleur rouge, l’ouvrit, déposa un petit pois de couleur avant de le reboucher. Tu fis le même procédé avec le jaune, le bleu, le noir et pour finir, le blanc. Un pot d’eau et de vieux tissus pour essuyer tes pinceaux déposés non loin, au besoin.
Et ce fut le temps de commencer.
Du bleu mêlé au jaune auquel tu ajoutas une touche de noir, puis qu’ensuite tu mêlas au rouge pour obtenir une sorte de brun foncé. Ce n’était pas la bonne nuance. Pour équilibrer le tout, tu mis tu blanc, peu à peu afin d’atteindre la bonne nuance. Et ton pinceau frotta la surface texturée de la toile. Du blanc, encore du blanc. Oups, non trop. Vite, du noir. Tu t’arrêtas, te sentant observé. Sans voir l’inconnu, tu avais ta petite idée quant à l’identité de l’observateur. L’opportuniste. Ce type à l’unique chevelure bleuté qui venait de temps à autre voir ton art, sans émettre le moindre commentaire. Sans rien acheter.
Tu ne sus pas comment te sentir. Lassé, agacé, curieux. Tu ouvris la bouche pour aussitôt la refermer. Combien de temps était-il là ? Sûrement pas longtemps. Que voulait-il ?
Et plus important, que voulais-tu lui dire ? Avais-tu l’intention de l’aborder ? Pourtant tu t’étais juré de ne rien lui dire jusqu’à ce qu’il décide d’acheter un truc. Tu réfléchis. En même temps, l’idée qu’il reste planté là à ne rien faire sauf t’observer t’énervait pour une raison inconnue.
« Tu veux quelque chose ? »
Ma photo, peut-être, te retins-tu de dire. Tu finis par te retourner pour faire un face à face, déposant, au passage, ton pinceau dans le pot d’eau lui étant réservé.